"... Lorsque Hussein Pacha eut appris qu'une expédition formidable se préparait contre Alger, il s'empressa de faire appel aux tribus arabes et kabyles; il leur écrivit des lettres circulaires, dans lesquelles il leur représentait qu'il y avait, pour elles, un devoir de religion, à repousser l'invasion des infidèles.(….)
Lorsque ces lettres parvinrent aux Kabyles, il y eut de grandes assemblées des tribus, afin de délibérer et de prendre les dispositions nécessaires pour répondre à l'appel du Dey.
Les notables du pays et les marabouts furent envoyés dans les tribus qui étaient en guerre, les unes avec les autres, afin d'apaiser leurs querelles et de les faire entrer en arrangement. Si une tribu se montrait récalcitrante, elle était aussitôt attaquée par toutes les tribus réunies, et ses villages incendiés; par ce moyen énergique, on arriva bientôt à rétablir partout la paix et à tourner toutes les forces du pays vers la guerre qui se préparait. Il fut décidé que toute vendetta serait suspendue jusqu'à la fin de la guerre; que tout individu, qui exercerait une vengeance, serait lapidé par la djemâa, et que ses (biens) seraient confisqués; que les dettes ne pourraient être réclamées; que tout individu qui se rendrait coupable de vol, après le départ des guerriers, serait puni de mort. Toutes ces mesures, consacrées par la couturne, furent publiées sur les marchés. En même temps, chacun prenait ses dispositions particulières en vue de la guerre, préparait ses armes, ses vivres, ses munitions .Ceux qui ne possédaient rien étaient équipés aux frais des djemâas ou aux frais des individus, qui, ne pouvant partir eux mêmes, Voulaient au moins contribuer à la la guerre sainte par leur argent. Les uns écrivaient leurs dernières volontés et faisaient le compte de leurs créances et de leurs dettes, les autres constituaient leurs biens en habous. L'enthousiasme pour la guerre fut réellement remarquable : car les Kabyles fournirent la majeure partie de l'armée auxiliaire qui arriva au secours d'Alger. Les lieux de rendez-vous, pour les tribus, furent assignés de la manière suivante:les Ameraoua el-Fouaga et les tribus du haut Sebaou, devaient se réunir à Sikh ou Meddour; les Ameraoua Tahta, les tribus du bas Sebaou, les Flissat Oum el-Lil, à Azib Zamoum ,les tribus du Djurdjura à Bor'ni, et celles de l‘ouest au djemâ des Isser.
Au jour indiqué, les contingents se rassemblèrent aux points désignés, suivis des femmes, des enfants, des vieillards, qui voulaient faire leurs adieux aux Medjehedin, et faire des invocations suprêmes pour le succès de leurs armes. Les chefs avaient été choisis, d'un commun accord, parmi les hommes que désignait la notoriété publique. Les villages avaient fourni les mulets destinés au transport des vivres et à ramener les morts et les blessés, les hommes chargés de conduire ces mulets et de relever les morts et les blessés avaient été indiqués à l'avance. Lorsque les Kabyles marchent pour la guerre sainte, il est d'usage que chaque tribu ou chaque groupe de tribus d'un même" sof "soit accompagné d'un de ses marabouts les plus en renom, porteur du drapeau de sa zaouïa. Le jour du combat, ces drapeaux sont plantés sur la ligne de bataille, pour servir de points de ralliement, et ils y restent jusqu'à ce que le sort des armes soit décidé.
Voici comment s'organisèrent les phalanges Kabyles:
Les Beni Iraten, ayant pour chef Si Mohamed el-Hannachi Naït ou Amar de Tamazirt, avaient pour marabout Si Mhamed Saadi, qui portait le drapeau de la zaouia de Chikh ou Arab. Les Beni Fraoucen, Beni Khelili, Beni bou Chaïb,étaient conduits par Si Saïd ou Sahnoun, de Tamazirt, leur marabout était Si El-Hadj Salah Naït Daoud, de Souama.
Les Beni Djennad étaient commandés par Mhamed ou EI-Arbi Nait Baba, neveu d'Haddouch Naït Baba, que nous avons vu braver les efforts de Yahia Agha en 1825 , ils avaient, pour marabout, Si El-Arbi ou Chérif de Tazrout, avec le drapeau de la zaouïa vénérée de Sidi Mançour.
Les Flissat el-Behar avaient pour chef Arab Iguerroudjen et pour marabout cheikh Amar Amsoun. Les Beni R'obri marchaient avec Cheikh bou Hamil, pour chef, et avaient pour marabout Si Ahmed ou Malek., de Tiftrit Nait el Hadj, portant le drapeau de la zaouïa de son ancêtre.
Les Beni Idjer, Acif el Hammam, Tigrin, étaient conduits par Mohamed Nait Ali, et le marabout Chikh el-Mouhoub, de Tifrit Naït Malek.
Les Zerkhfaoua et les Beni Flik avaient Saïd ou Amar, et le marabout Si Mhamed ou Tafzoun.
Les Illoula et les Beni Ziki avaient Ali ou Kezzouz, et le cheikh de la zaouïa des Tolba ben Dris.
Les Beni Itourar et les Beni Illilten avaient Saïd Nait Hamlat, et le marabout Si Srir Oulid Sidi Yahia ou Amar.
Les Beni Ouaguennoun étaient conduits par Ahmed Nait Yahia, le même qui avait combattu Yahia Agha, en 1825 , leur marabout était Si Saadi, des Cheurfa.
Les Beni Yahia, Beni bou Youcef, Beni Menguellat, avaient Yahia Nait ou Azzouz, et deux marabouts, Si el Hadi, des Beni Menguellat, et Si Mohamed ou Chérif, des Beni bou Youcef.
Les Akbil, Beni Attaf, Beni Bou Drar, Beni Ouassif, Beni bou Akkach, avaient respectivement pour chefs EI-Haoussin ou Zennouch , El Hadj Amar naît Kassi, Ali Nait Youcef ou Ali, Ali ou Mohamed ou Kassi, El-Hadj el-Mokhtar Naït Saïd, leur marabout était Si el Djoudi, des Beni bou Drar.
Les Beni Yenni avaient Braham ou Ahmed, et le marabout Si el Hadj Lamine.
Les Beni Sedka étaient commandés par Si Ahmed ou Aïad, des Ouadia, et le marabout Si el Mahfoud, des Beni Chebla.
Les Beni Mahmoud avaient el-Haoussin Naït Mbarek; et le maraboul Si Nour ed Din Aït Zian.
Les Beni Aïssi et les Maatka, Si el-Hadj Tahar, et le mokeddem de la zaouïa de Sidi Ali ou Moussa.
Les Guechtoula étaient commandés par El Haoussin ou Ali,leur marabout était le mokaddem de la zaouia de Si Abder- Rahman Bou Gobrin, siége de l'ordre du même nom, et dont la puissance religieuse s'étendait sur une grande parue de la Régence.
Les Ameraoua avaient pour marabout le chikh Si Mohamed Amzian, des Ouled Bou Khalfa , leurs chefs étaient Amar ou Saïd Naït Kassi, pour les Ameraoua Fouaga, Aomar ben Mahied-din, pour les Ameraoua Tahta.
Les Flissat Oum el lil étaient commandés par el Hadj Mohamed ben Zamoum et el Hadj Mohamed ou Chakal , leur marabout était Sidi Smaïl.
Le caïd du Sebaou, Mohamed ben Moustafa Bou Kirch, marchait aussi avec ses moukahalia, sa musique et ses étendards.C'était un homme très-gros, grand ami de la chasse, d'un abord facile, bienveillant et affable, assez aimé des Kabyles. Les Makhzens des Ameraoua et des Abid reconnaissaient bien son autorité, mais les tribus kabyles n'obéissaient qu'aux décisions adoptées en conseil par leurs chefs.
A quel effectif s'élevaient les contingents fournis par la grande Kabylie?
Il serait bien difficile de le préciser; mais, en tenant compte des forces que l'agha Ibrahim mit en ligne devant nous au combat de Staouêli, et que l'on estime généralement à une cinquantaine de mille hommes , en tenant compte de ce que les beys de Constantine, de Titéri et d'Oran n'ont pas amené moins de deux mille combattants; en tenant compte des allées et venues, on arrive à évaluer le nombre des Kabyles, qui ont quitté leurs tribus, pour courir au secours d'Alger, à au moins vingt-cinq mille. C'est un effort remarquable, puisque ces vingt-cinq mille hommes, qui ont marché, représentaient à peu près le dixième de la population.
Lorsque les contingents kabyles arrivèrent auprès d'Hussein Pacha, il alla au-devant d'eux, leur témoigna la joie que lui causait leur venue, s'entretint avec les notables, et leur promit qu'il leur donnerait des armes, de la poudre et des provisions de bouche (…).
Les Kabyles campèrent, avec le bey de Constantine, auprès du Bordj EI-Harrach, côté vers lequel on croyait que serait dirigée notre attaque, Ce ne fut qu'après notre débarquement qu'ils se portèrent vers Staouëli.
Les Kabyles étaient généralement bons tireurs, ils le devaient à leur goût pour les armes, et à leur éducation. (…)
Ce furent les contingents kabyles qui harcelèrent si vivement nos troupes, dans les premiers jours qui suivirent notre débarquement …".
Source : D’après le colonel N. Robin.